Les femmes rurales, les architectes méconnues de l’avenir africain | Fondation Mastercard

Les femmes rurales, les architectes méconnues de l’avenir africain

Esther Dassanou, Directrice Genre de la Fondation Mastercard & Codou Diaw, Directrice exécutive de la Fondation Batonga

Depuis 2007, chaque 15 octobre, la Journée internationale des femmes rurales nous rappelle une vérité essentielle, trop souvent occultée : l’avenir économique et social de l’Afrique se joue aussi dans ses campagnes. Dans les villages, des millions de femmes cultivent la terre, nourrissent les familles, animent les marchés et réinventent les solidarités locales. Artisanes discrètes de la souveraineté alimentaire, elles restent pourtant absentes des grands récits sur l’avenir du continent. Privées d’un accès égal aux ressources, aux financements et aux réseaux, ces femmes demeurent invisibles alors qu’elles sont le cœur battant de l’économie rurale et les véritables architectes d’une croissance inclusive. Si rien ne change, l’avenir du continent s’éloignera de ses promesses d’inclusion et de prospérité. Le futur de l’Afrique ne se dessinera pas sans elles : il s’écrira avec elles, et grâce à elles.

Le coût économique de l’inégalité de genre

Les chiffres sont sans appel. L’inégalité de genre coûte à l’Afrique subsaharienne quelque 95 milliards de dollars chaque année en productivité perdue . En deux décennies, la contribution des jeunes femmes au PIB a chuté de 18 % à 11 %, signe d’un potentiel immense laissé en friche. Moins de 15% d’entre elles possèdent des terres, alors qu’elles représentent entre 60 à 80% de la main-d'œuvre agricole du continent et produisent jusqu’à 80% des denrées alimentaires. Les jeunes agricultrices se heurtent encore à un accès limité à la formation, au crédit, aux intrants, aux installations d’irrigation ou encore aux marchés. Ces obstacles systémiques freinent leur potentiel - et, avec lui, celui de tout un continent -, se traduisant par des rendements plus faibles, des opportunités manquées et une croissance étouffée.

Le constat est donc clair : l’inégalité a un coût. L'Agenda 2063 de l'Union africaine le rappelle, l'autonomisation des femmes est une condition sine qua non pour lutter contre la pauvreté et la faim. Les projections chiffrent cette opportunité : investir dans le potentiel économique des femmes pourrait générer 287 milliards de dollars de PIB supplémentaire d'ici 2030 et créer 23 millions d'emplois. Dans le secteur agricole, garantir aux femmes un accès équitable aux ressources telles que la terre, le crédit, ou la formation pourrait faire bondir les rendements de 20 à 30 %, de quoi nourrir jusqu'à 150 millions de personnes supplémentaires.

Inspirer l’action collective

Loin d’être une utopie, cette transformation est déjà à l'œuvre sur le terrain. Depuis 2023, au Sénégal, plus de 5 500 jeunes femmes rurales ont rejoint les cercles d’affaires Batonga. Soutenus par la Fondation éponyme avec le soutien de la Fondation Mastercard, ces cercles renforcent l’autonomie des femmes les plus isolées et leur donnent les moyens de devenir des actrices du changement au sein de leurs communautés. Dans ces espaces de solidarité, de formation et de leadership, elles acquièrent les outils de leur autonomie (éducation financière, mentorat, réseaux) et deviennent des moteurs de changement, même dans les zones les plus isolées.

Car l’argent seul ne suffit pas. Il faut un financement intelligent, adossé à un écosystème complet qui prend en compte les réalités concrètes auxquelles les femmes sont confrontées : absence de garantie foncière, mobilité réduite, poids des responsabilités domestiques. À la Fondation Mastercard, en partenariat avec la Fondation Batonga, nous plaçons ces réalités au cœur de notre approche, en co-construisant des solutions adaptées avec les femmes elles-mêmes.

L’autonomisation des femmes rurales n’est pas une exigence de justice sociale : c’est un choix stratégique pour l’Afrique qui ouvre la voie à la souveraineté alimentaire, la réduction de la pauvreté et la transformation économique. Cela exige des politiques publiques audacieuses, un engagement accru du secteur privé et des programmes ancrés dans les communautés locales.

L’investissement à visée inclusive (“gender lens investing”) dépasse le cadre philanthropique. Il s’agit de la nouvelle frontière d’une croissance durable et partagée. Miser sur les entrepreneures, les consommatrices et les leaders que sont les jeunes femmes africaines est un pari gagnant-gagnant. Leur parcours n’est pas seulement une histoire de résilience : c’est une promesse de réussite collective.

Le 15 octobre, la Journée internationale des femmes rurales nous a rappelé une évidence : au-delà des hommages, reconnaissons les femmes rurales comme ce qu’elles sont : les architectes de l’avenir économique de l’Afrique. Leur réussite sera celle de tout un continent.

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